Le journaliste Julien Gardon a suivi l’équipe féminine de Saint-Étienne pendant un an. L’essence de ses entretiens avec les joueuses sera livrée dans un livre publié en juin, Un an avec les Vertes. Il y raconte les entraînements, les matches, mais aussi les déceptions de celles qui n’ont pas atteint leur objectif de remonter en première division. Entretien.
Pourquoi avoir écrit sur les Vertes plutôt que sur les Verts ?
C'est une idée de ma co-auteure, Laurie Joanou, qui est également journaliste. Je ne connaissais pas le foot féminin avant qu'elle me propose de suivre les Stéphanoises. La coupe du monde était aussi un bon prétexte pour s'intéresser à cette équipe. Écrire un livre sur les Verts en les suivant une année entière, comme on l’a fait pour les féminines, c’était impossible. Mon premier rendez-vous a eu lieu avec un responsable de la communication et le coach. Ils nous ont dit d’emblée : « Je vous reçois parce que cela concerne les féminines, mais si vous aviez demandé à suivre au jour le jour l’équipe masculine, c’était hors de question. » Parce que tout est cloisonné, tout est carré. Les conférences de presse sont calibrées.
Comment qualifieriez-vous la communication des féminines ?
Elle est complètement différente et moins bien gérée. Il suffit de regarder sur le site de l’Association sportive de Saint-Étienne. En ce qui concerne les joueuses, il n’y a que des annonces de matches ou des comptes rendus, c’est tout. Autre exemple dans Le Progrès (quotidien régional), deux semaines de suite, il y avait deux fautes différentes dans le nom de famille de la capitaine de l’équipe. Avec un footballeur, ce genre d’erreur n’aurait peut-être pas eu lieu. Il n’y a pas vraiment d’attention portée aux féminines. Je trouve que ces exemples sont assez révélateurs.
À Saint-Étienne, les joueuses s'entraînent-elles au même endroit que les joueurs ?
Non. Elles s’entraînent désormais au stade de l'Étivallière, juste à côté de Geoffroy-Guichard où un terrain leur est dédié. C’est un peu éloigné du centre de formation des professionnels, qui se situe à l’Etrat. Par contre, l’hiver, elles s'entraînent avec les hommes. Mais lorsqu'elles elles sont dans ce centre, elles n’ont pas le droit de passer devant leur vestiaire. La raison avancée ? Ça perturberait les jeunes joueurs.
Que leur inspire cette interdiction ?
Ça les fait marrer. Elles pensent que c’est plutôt pour recadrer les garçons et non pour pénaliser les filles.
Les équipements dont elles bénéficient diffèrent-ils de ceux des Verts ?
Dans leur centre d’entraînement, il y a deux ou trois appareils de musculation, tandis qu’il y a une véritable salle équipée à l’Etrat. Elles ne sont pas non grata là-bas, mais on leur dit que leur planning ne correspond pas... Les moyens ne sont pas du tout les mêmes pour les Verts.
Cette succession d'inégalités les empêche-t-elles de progresser ?
Elles font avec les moyens du bord. Après, il ne faut pas trop noircir le tableau. La capitaine de l’équipe, Amandine Henry, joue au football depuis 13 ans. Elle a vraiment vu une évolution favorable. Il reste toujours un écart avec les hommes, mais il se réduit au fil des années.
En un an, avez-vous entendu des remarques sexistes ?
Lors d'un match, un spectateur m’a lancé : « On dit qu’il n’y a pas d’ambiance dans le football féminin ». Une remarque pleine d’a priori. On entend beaucoup de préjugés sur l’intensité du jeu, mais ce ne sont pas des remarques constantes. Je pense quand même que ceux qui soutiennent le foot féminin savent à quoi s’attendre. Ils sont là pour voir les Vertes. Mais il y a un autre problème : au Stade de l'Étivallière où jouent les filles, il n’y a pas de buvette. Dans n’importe quel match de campagne, même pour des petites équipes ou des mineurs, il y a une buvette pour les parents qui viennent assister aux matches de leurs enfants. C’est fou : tous les matches auxquels on a assisté à l’extérieur, il y avait une buvette. A Saint-Étienne, pour l’équipe féminine, il n’y en a pas. Sans raison valable.
Comment conjuguent-elles vie de famille, études et sport ?
Leur organisation est établie d’avance. Elles savent qu’elles vont devoir s’entraîner tous les soirs à 18h30 et elles font en conséquence. Mais elles ne peuvent pas toutes assister à tous les entraînements. Certaines sont professeures, donc avec les conseils de classe de la fin de l’année, elles s’entraîneront forcément moins. Pareil pour les bachelières... Au club, ils sont très vigilants sur le fait que les joueuses sélectionnées aient du travail et qu’elles ne mettent pas leurs études de côté par rapport au foot.
Éloignons-nous un instant de Saint-Étienne... Chaque année, 25 000 nouvelles joueuses chaussent les crampons. Y a-t-il un véritable engouement pour le football chez les femmes ?
Oui. La Coupe du monde devrait permettre d’accentuer le phénomène, notamment si l’équipe de France va loin. Suivre cette aventure a modifié mon regard sur ce sport. On n’assiste pas réellement à la même pratique que lorsqu’on regarde du football masculin. Pas la même intensité, pas autant de contact physique… Encore que certaines n’hésitent pas à y aller. Ce n’est pas le même jeu que chez les hommes. Les femmes partent de plus loin. Et si physiquement, elles n’ont pas les mêmes capacités, ça ne m’a pas empêché de me prendre au jeu.
Des pronostics sur la Coupe du monde ?
De ce que j’ai pu comprendre, l’équipe de France a ses chances. Ça va être compliqué pour elles d’aller jusqu'à la victoire. Par contre, la demi-finale est dans leurs cordes.
Julien Gardon et Laurie Joanou ont réalisé ce livre sur la plateforme Ulule, en financement participatif.
Sabrine Zahran
Comments