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Avant Marinette Pichon, il y avait juste Marinette

À l'occasion de la Coupe du monde féminine, les Maradonna ont rencontré Marinette Pichon. Lesbienne, elle a pourtant réussi à s'imposer comme la meilleure buteuse des Bleues dans le monde conservateur et très masculin du foot français.

« Le cœur qui bat, la voix qui tremble, les mains moites, et le lever de rideau. France-Chili, au stade de Gerland, à Lyon. Mon premier match en Équipe de France. » De son baptême en sélection officielle, le 22 mars 1994, Marinette Pichon retient surtout la Marseillaise. Et puis, l’ascenseur émotionnel. « Je me dis que je ne vais pas y arriver, puis la seconde d'après, je me dis que je vais tout casser, que ça va être exceptionnel. C'est juste bluffant.»

25 ans plus tard, la plus grande buteuse de l'équipe de France, désormais âgée de 43 ans, nous accueille dans son bureau à Évry. Pour un jour encore, elle est salariée du conseil général de l'Essonne, et s'occupe de la reconversion des anciens grands sportifs. Dans quelques semaines, elle partira à Montréal entraîner une équipe féminine dans le centre de formation du lac Saint-Louis. C'est son dernier jour et le planning est serré : il faut se préparer au départ, faire ses adieux à la direction au déjeuner, répondre à la presse. Les médias, ça la connait, surtout en période de Coupe du monde. Mais elle a tout de même pris le temps de nous recevoir. « Je suis désolée pour vous, mais ça commence même à être lourd !», lance en rigolant cette guerrière au physique toujours athlétique. Cette effervescence n'empêche pas la légende du foot féminin de revenir sur sa carrière et ses débuts à l'Association sportive de Brienne le Château, dans l'Aube.

« J'ai commencé à l'âge de 5 ans. J'étais la seule fille dans un club de garçons », se souvient Marinette Pichon avec un sourire nostalgique. « J'étais la mascotte, la coqueluche. On m'a tout de suite acceptée. L'éducateur a tout de suite posé les conditions de la réussite. » C'est une fille, certes, mais elle veut jouer au foot, comme les garçons. « J’étais dans un environnement protégé, et personne n’a essayé de me décourager. Si j'avais rencontré des idiots, ça aurait sûrement été différent. »


Assise derrière son bureau, la blonde aux cheveux bouclés a le regard franc, même s'il alterne de temps à autre entre l'ordinateur et l'Apple Watch à son poignet : elle attend un appel d'un journaliste de L'Équipe, et un autre du New York Times. C'est que sa célébrité ne s'arrête pas aux frontières de la France. La « Frenchie » a fait les beaux jours des Philadelphia Chargers et des Wildcats du New Jersey entre 2002 et 2004, lorsqu'elle vivait aux États-Unis, nation suprême du soccer féminin. Cette notoriété l'indiffère. « C'est flatteur pour ma carrière : être célèbre, ça veut dire qu'on a marqué ses pairs mais je n'ai pas changé de vie. J'ai conscience de ce que j'ai accompli, pas besoin d'avoir la grosse tête. Avant d'être Marinette Pichon, j'étais Marinette. »


Son maillot bleu est suspendu sur le mur derrière elle, floqué d'un « 100 » pour marquer ses cent sélections en Équipe de France. Un exploit qu'elle doit peut-être à son entraînement, plus jeune, avec des garçons. « Quand je suis passée chez les filles, le jeu était différent, ça allait moins vite. Les enchaînements, la vitesse d'exécution, la frappe... Évoluer chez les garçons m'a permis d'être un cran au-dessus. » Mais de son parcours chez les filles, la nouvelle consultante de L'Équipe retient surtout une camaraderie. « Il y avait plus d'échanges avec elle. Avec les garçons, on ne parlait que de foot ou d'école. »

Du chemin, cette originaire de Bar-sur-Aube en a parcouru, et elle a eu l'occasion de voir son sport, sa pratique et sa mentalité évoluer. « En 1999, c’est l’éclosion du football féminin, l’équipe américaine qui gagne tout. Le début des sponsors, des égéries... 2019 c’est la Coupe du monde en France, la reconnaissance d’une nation et d’une décennie de footballeuses. » Elle se réjouit de l'augmentation d'adhérentes dans les clubs français, la sensibilisation des présidents, les infrastructures mises à disposition des jeunes filles. « Cette année, c’est la première fois qu’un équipementier élabore une tenue spécifiquement pour l’équipe féminine », s'enchante celle qu'on a longtemps comparée à Jean-Pierre Papin. « Il y a une vraie considération des médias, des sponsors, une proximité plutôt nouvelle et c’est positif. » Mais elle ne s'illusionne pas : « On est loin de l'égalité dans le foot, il reste tellement à faire. Il nous faut un modèle économique et sportif, afin de rendre le championnat féminin plus attractif. Pour qu'on ne se limite pas à trois équipes qui se battent pendant que les autres galèrent. » L'énorme fossé entre le salaire des joueuses et celui de leurs homologues masculins est une question récurrente. « La tendance commence à s'inverse, nuance l'ex "numéro 9." » Et aux États-Unis, pendant les années où j'y ai joué, les filles étaient bien mieux payées qu'en France » .


C'est grâce à ses prouesses qu'elle est devenue un modèle pour les jeunes joueuses, mais Marinette Pichon inspire aussi par ses combats personnels. En 2000, l'attaquante fait son coming out lors d'une conférence de presse. « Je n'avais rien prévu. On m'a posé la question, j'y ai répondu. À l'époque ce n'était pas du tout fréquent – et ça ne l'est d'ailleurs toujours pas. » Une révélation sans répercussion. « Une fois, j'ai eu un connard au bord d'un terrain, qui m'a traitée de “lesbienne”. Après, il a vite vite couru : il savait que j'allais l'attraper. » Et auprès de ses coéquipières ? « Je n'ai vu aucun changement. Si ça a gêné quelqu'un, jamais personne n'est venu me le dire en face. Il aurait été bien reçu, en même temps », sourit-elle. En 2018, elle a reçu l'OUT d'or de l'association des journalistes LGBT, pour ce coming out qu'elle évoque dans une autobiographie publiée la même année*.


Derrière cette grande tige trône une photo de ses deux enfants : Maxim, 26 ans, et Gaël, 6 ans. Un petit blond qu'elle a eu à la faveur d'une PMA (Procréation médicalement assistée) avec Ingrid Moatti, championne de basket handisport. Rendez-vous chez le psy, tests..., «la PMA est une procédure hyper intrusive », déplore Marinette Pichon. « Certains diront “Oui, mais vous n'avez qu'à pas être homo, vous n'avez qu'à être ceci ou cela, ce serait plus facile”, sauf que quand t'es homo, t'es bien emmerdé.e ». Aujourd'hui, l'ex-championne est contente de véhiculer, à travers sa vie privée, des messages. « Si ma parole peut libérer les jeunes et sensibiliser les adultes, je le fais avec grand plaisir. » Et d'ajouter, éternel sourire aux lèvres : « Mais je ne me lève pas le matin en brandissant mon drapeau LGBT.» Sa façon à elle de montrer à tout le monde qu'avant Marinette Pichon, il y a Marinette.

Lisa Hanoun et Gabriel Piozza

* Ne jamais rien lâcher, aux éditions First (2018)

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